Textes
Démarche artistique
Mon travail se base sur une pratique de la marche et du dessin sur le motif.
A la recherche de ce qui échappe au visible, je donne à voir tantôt le hors-champ de l’autoroute qui scinde le nord de Marseille en deux, puis la lumière lunaire préservée de pollution lumineuse, très rare au XXIe siècle ou encore, la lumière en face ou l’éblouissement, ce qui est une tentative de rendre visible ce qu’on ne peut pas voir.
Depuis 2020, je dessine la disparition des glaciers et l’effondrement de la montagne en été, et l'hiver, les lumières entre chien et loup et la luminosité de la neige.
Aurore Salomon, 2021
Après bien des expériences artistiques en Colombie et ailleurs, Aurore Salomon se consacra l’été dernier à la Haute-Corrèze dans l’atelier de lithographie du musée d’Ussel. Artiste installée à Marseille, maîtrisant les techniques de l’estampe et du dessin, Aurore entama une recherche sur le rendu de la lumière tant sur la nature que sur les édifices. Capturer les effets des ciels changeants de l’été corrézien guida son regard et sa pratique. La recherche dans le domaine si singulier de la lithographie demande patience et ténacité. Sans doute un certain degré d’abnégation devant les rendus si différents de ceux espérés. Aurore Salomon travaille non sur le paysage mais avec celui-ci. Peu importe le lieu, le paysage est une matière qui conduit à expérimenter, à percevoir, à s’immerger. Ses paysages génèrent une musicalité, un ensemble de touches comme autant de notes. Elle travaille souvent sous la forme de série, et sans doute est-ce dans ce process que son engagement se déploie. Avec cette sensation que ce qui est produit relève plus du mouvement, d’une image en action. La série des soleils évoque un magma, une source de lumière en action.
La lumière fait l’image, dans le sens de la reproductibilité qu’autorise la lithographie ; images du barrage, des ciels, des façades. Elle est d’autant plus vibrante que la technique lithographique engendre, par les défauts de calages, des effets optiques puissants. Ceux-là mêmes qui furent exploités par les impressionnistes, les pointillistes et les alchimistes de la photographie holographique comme Man Ray ou Raymond Hains. Brouiller l’image pour mieux la voir.
Avant le travail sur la pierre, Aurore Salomon réalise des ensembles de croquis, de crayonnés rehaussés de couleurs. Les carnets de croquis, les suites de feuilles dessinent des scénarios, des histoires non écrites. Les architectures sont souvent laissées au crayon, laissant apparaître le support papier. Elles acquièrent alors une intensité lumineuse, contredisant les couleurs du paysage. Aurore Salomon excelle dans les rendus des paysages corréziens si délicats à représenter tant les nuances de verts sont infinis. Ici, elle en dévoile par touches les délicats dégradés ou les contrastes les plus saisissants.
La nuit, Aurore continue ses parcours et ses saisies. La lumière est autre, plus dense, épaisse dans les noirs, fébrile dans les ombres. Saisir la nuit, peut-être les ténèbres, évoque les travaux d’Odilon Redon. Ici, le symbolisme dans sa forme narrative est absent, mais une évocation d’un possible récit. Les formes vivantes sont absentes de la représentation, et pourtant, Aurore évoque une présence dans la simple et si prégnante possibilité. Le possible que le spectateur a de construire un récit porté par les rendus graphiques.
Christian Garcelon, 2020
Christian Garcelon est historien de l’art, commissaire. Il enseigne à l’université et dans les écoles supérieures d’art. Actuellement, il est conseiller à la direction régionale des affaires culturelles de Nouvelle-Aquitaine.
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Aurore Salomon a choisi de fonder sur la pratique du dessin une démarche qui vient s'enraciner dans une expérience du territoire, l'exercice de la marche et de la découverte des lieux et des situations.
La ville constitue une bonne part de son univers et de son propos, avec des montres de bétons, ses chemins labyrinthiques et ses dégagements imprévus sur des morceaux de nature, des bouts de mer, des lignes de fuite autoroutières. Là s'entrelacent des fragments d'histoires et de vies, un jeu de traces entremêlées, un palimpseste d'errances sur lequel jouent des enfants qui ont l'air d'avoir toujours su l'importance de l'instant qui passe.
Jean Cristofol, 2013.
Philosophe, enseignant en école supérieur d'art et à l'université.
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En explorant à pied des territoires hostiles et méconnus, je puise la matière qui nourrit mon travail.
L’approche pédestre me permet d’opérer à un déplacement du regard sur un lieu ou une construction : le point de vue que je choisis invite à les voir autrement.
Je garde des éléments reconnaissables en utilisant un mode d’expression figuratif et fidèle à son modèle afin d’offrir des repères.
Le questionnement engendré par le déplacement de point de vue sur les lieux sélectionnés est accentué par le fait que je n’en montre que des fragments. Ainsi sorti de son contexte, l’élément représenté devient difficilement identifiable et interroge sur son propre sens.
J’appelle « part invisible » ces tranches de paysages cachées de la vue, souvent délaissées et non maîtrisées ou en rupture avec leur environnement ; au-delà d’une simple perception visuelle de ces lieux, je montre la présence de forces de la nature et du vivant, de l’apesanteur, le vide et le plein, la construction, la destruction, le temps…
Des zones de mes dessins vrillent, donnant une sensation de chute ou de flottement de l’objet représenté, pour en révéler le caractère inaliénable et insaisissable.
Aurore Salomon, 2013